Hausse des prix de l’oignon
Mécontentement des producteurs et des consommateurs
Abdelmoumen Guennouni
Côté consommateur, la hausse des prix de l’oignon –à l’instar de la plupart des autres fruits et légumes et légumineuses alimentaires- était le couronnement des augmentations qui n’ont cessé de miner le portefeuille des ménages et qui ont affecté les produits alimentaires et autres dépenses courantes.
Côté producteurs aussi le mécontentement est de mise. En effet d’une part la hausse vertigineuse ne leur profite pas –contrairement à ce qu’on pourrait penser- et d’autre part ils se demandent pourquoi l’opinion publique ne réagit pas quand les prix sont au plus bas, ne couvrant même pas les coûts de production.
L’oignon est un légume très demandé et très consommé dans la cuisine marocaine. Normalement sa production (environ 15 Mt/an) couvre largement les besoins du marché, avec des pics de consommation lors de certaines périodes comme le mois de Ramadan et l’Aïd Adha.
D’après les données du ministère de l’agriculture, les prix de l’oignon sec sur les marchés de gros au 9 mars dernier variaient entre 9 et 10 dh/kg alors qu’en 2015 et 2014 ils se situaient entre 2,10 et 2,70 dh. Cependant, dans la pratique, la ménagère était tenue de débourser entre 12 et 15 dh pour 1kg de ce légume qui fait pleurer.
Comme à l’accoutumé les raisons invoqués par les commerçant sont aussi variées que contradictoires d’une saison à l’autre : on invoque les exportations (vers l’Afrique en quantités réduites et tant que les prix sont bas), la loi de l’offre et de la demande, les conditions climatiques de l’année comme la sécheresse ou l’excès de précipitations, difficultés d’accès aux champs, les vagues de froid ou gelées, la grêle… Sans oublier l’effet ‘’retour de manivelle’’ de la campagne précédente, avec une production surabondante et commercialement défavorable poussant nombre de producteurs à s’abstenir.
Il faut noter que la culture d’oignons est pratiquée essentiellement dans les zones pluviales (bour) qui ont été Impactées par l’absence de pluies durant plus de trois mois.
A qui profitent les hausses ?
Une autre raison est aussi invoquée par les professionnels, mais qui passe souvent inaperçue, c’est le manque d’organisation des circuits de commercialisation. En effet entre le producteur et le consommateur s’intercale une cascade d’intermédiaires qui profitent de l’absence de mécanismes de régulation des marchés, de l’absence de concurrence et de la carence du contrôle. Ils recourent donc à toutes sortes de pratiques (spéculation, rétention de marchandise, ententes entre commerçant, …) pour prélever, à chaque étape, des marges supérieures à ce que perçoit le producteur pour un cycle de labeur avec des facteurs de production en constante augmentation. D’autant plus que les prix élevés incitent à la spéculation. En outre, la réorganisation des marchés de gros, dont on ne cesse de parler, se heurte à des intérêts importants et des lobbies puissants qui l’empêchent d’aboutir.
Selon certains producteurs, certains revendeurs (ayant acheté et stocké des quantités importantes) ont enregistré des pertes énormes qui les ont conduit à la faillite (achat à 0,80 + conservation = 1,20 et vendu à 1dh/kg). Les seuls à courir moins de risque sont les revendeurs et détaillants qui s’approvisionnent à la semaine et écoulent leur production sans trop de variations de prix avec des marges de 1-1;50 dh/kg.
Témoignange
M Mustapha Bendadda, Ingénieur Agronome, producteur dans la région d’El Hajeb. Trois types de production d’oignon sont conduits au Maroc : hivernale, dans la région de Aïn Karma, printanière, en région de Béni Mellal et estivale à El Hajeb et province d’Ifrane. Les productions hivernale et printanière consomment peu d’eau et ne se conservent pas car les bulbes se forment en période à faible ETP contrairement à la production estivale (conduite exclusivement en irrigué) qui se forme en période à forte ETP avec forte consommation d’éléments minéraux. Ces dernier font la richesse des bulbes parallèlement à l’évaporation de l’eau libre dans les oignons d’où leur aptitude à la conservation.
Normalement, le prix de revient des productions hivernale et printanière sont plus faibles et sont liés au coût (consommation) de l’eau d’irrigation et varie entre 0,50 et 0,80 Dh/kg respectivement pour la production hivernale et printanière. Les coûts de la production estivale sont de 1 dh/kg auquel s’ajoutent les couts de la conservation (construction des séchoirs, paille, film plastique, transport interne et main d’œuvre) qui sont de 0,30-0,35 dh/kg, ramenant le prix de revient du kg à 1,30-1,35 dh.
Les raisons d’une flambée imprévue
Pour comprendre les causes de l’actuelle flambé des prix, il faut revenir un peu en arrière (sur deux campagnes). Ainsi la campagne 2013-14 a enregistré une surproduction de la production hivernale qui a inondé le marché et a empiété sur la période normale de la production suivante. En effet, au lieu de s’épuiser fin juillet elle était encore sur le marché jusqu’en oct-nov, période de commercialisation de la production estivale (à partir d’aout). Cette surproduction a tiré vers le bas les prix des deux types de production (20-40 centimes pour la première et 60 cts pour la seconde, en nov 2014). Cette chute des prix a causé une perte consistante aux producteurs qui ont perdu 40 cts par kg de production soit environs une moyenne de 20.000 dh/ha.
Deuxième cause de la surproduction : Le PMV a encouragé les producteurs (goutte à goutte à 100%) entrainant une forte augmentation des superficies consacrées à cette culture et une forte surproduction.
En conséquence, les producteurs affectés en 2014-15 n’ont pas cultivé d’oignon la campagne suivante et ceux qui se sont lancés ont liquidé leur production le plus vite possible (à 2-2,20 dh/kg- remboursement de dettes, peur du risque). De même, en ce moment de bas prix, une partie a été exportée vers l’Afrique (Mali, etc.)
A signaler que les oignons commercialisés actuellement sont ceux de la production de l’été 2015 alors que la production de l’hiver 2015-16 est quasi inexistante (suite à la sécheresse actuelle). D’où le faible approvisionnement du marché auquel s’ajoute le phénomène de rétention. Les revendeurs qui ont stocké les oignons achetés à 2-2,50 dh et quelques gros producteurs qui n’ont pas bradé leur production vendent actuellement à d’autres intermédiaires qui approvisionnent les marchés de gros à 9 dh/kg.
Retour à la ‘‘normale’’ en mai
Selon M Bendadda, la situation actuelle risque de durer jusqu’à l’arrivée sur le marché de la prochaine production printanière (Béni Mellal) en mai prochain. Sur place, les intermédiaires achètent dès maintenant la production à des prix atteignant 100.000 dh par hectare contre 70.000 en 2014-15 et 14.000 en 2013-14. Mais, les prix de vente au consommateur ne devraient pas dépasser 4-5 dh/kg.
Pour M Bendadda, la crise actuelle de l’oignon a été rendue possible suite à la conjonction de nombreux facteurs :
– Organisation inexistante des producteurs : l’agrégation recommandée par le ministère n’est pas envisageable en l’occurrence car le domaine est risqué et personne n’oserait s’aventurer de peur de pertes pouvant être considérables.
– Le ministère a aidé à la production mais pas à la commercialisation
– Absence de visibilité par manque d’information et d’orientation des producteurs sur les superficies semées ou plantées, ce qui rend leurs décisions aventureuses