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Arboriculture : Lutte intégrée, place des producteurs

Lutte intégrée

Place des producteurs dans le développement

Prof. M’hamed Hmimina, IAV Hassan II – Rabat

La protection phytosanitaire comme moyen de production ne peut être mise en cause, mais se développe corrélativement une mise en cause des méthodes utilisées. Sur certaines cultures, horticoles en particulier, le phénomène de la spirale des traitements pesticides fait songer à la Reine rouge d’Alice au pays des merveilles. Quand Alice demande pourquoi « nous courons vite et le paysage autour de nous ne change pas ? », la Reine rouge répond : « nous courons pour rester à la même place ». Face à la voracité des ravageurs, les maraîchers, les arboriculteurs traitent et retraitent pour pouvoir tenir sur place ! Car, en vérité, il est quasiment impossible de conduire une culture ou de faire une récolte digne de ce nom sans qu’ils interviennent. Et bien que la lutte semble économiquement motivée, elle entraîne cependant, dans beaucoup de cas, des désagréments techniques et environnementaux. Sur certaines cultures et face à certains nuisibles, les producteurs passèrent peu à peu du contentement au ressentiment.

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Sur le plan technique, il est manifeste que des traitements intensifs, surtout avec des insecticides à large spectre d’action (c’est à dire toxiques pour une multitude d’organismes tant nuisibles, qu’utiles et indifférents), entraînent des altérations importantes dans les agrosystèmes où ils sont employés fréquemment. Ils déciment les organismes non cibles et bénéfiques (facteurs naturels de régulation) et provoquent parmi les ravageurs une sélection de souches résistantes aux produits utilisés conduisant à une prolifération des ravageurs visés. De plus, des espèces anodines auparavant deviennent parfois des nuisibles sérieux. C’est de la sorte qu’en arboriculture fruitière, certains acariens phytophages sont devenus préjudiciables à la suite des applications généralisées et répétitives des insecticides.

Sur le plan socio-environnemental, la protection chimique n’est pas sans conséquences, bien que celles-ci soient plus difficiles à chiffrer. La législation phytosanitaire de tous les pays, en évolution continue, adopte des règles strictes relatives à l’emploi des pesticides. Elles intéressent l’efficacité des produits phytosanitaires, la tolérance de résidus sur les produits agricoles, l’impact sur la santé et l’environnement, etc. Le problème d’accumulation et de répercussion sur l’environnement est un prétexte essentiel dans l’appréciation de l’opportunité d’autoriser ou non la vente et l’emploi d’un pesticide. Cette législation qui assure notre sécurité contre les risques toxicologiques n’empêche pas qu’une partie des consommateurs souhaite une plus grande restriction dans l’emploi des pesticides. Dans le cas où un choix serait possible et connu, il est certainement à présumer qu’un bon nombre de consommateurs choisiraient des denrées moins traitées, ou totalement exemptes de pesticides.

Ces inconvénients ont conduit les agronomes vers la recherche de méthodes de lutte de substitution, ce qui a abouti au développement des principes de la lutte intégrée. Ce progrès s’est manifesté d’abord là où l’on rencontrait le plus régulièrement les désagréments de la lutte chimique intensive notamment en arboriculture fruitière (USA, Europe). Sa rapide assimilation un peu partout par la suite et ailleurs témoigne de la force d’attraction de cette innovation.

La lutte intégrée, modèle de protection mis en place progressivement tout au long de la fin du siècle dernier, se définit comme le “procédé de lutte contre les organismes nuisibles qui utilise un ensemble de méthodes satisfaisant aux exigences à la fois économiques, écologiques et toxicologiques, en réservant la priorité à la mise en œuvre délibérée des éléments naturels de limitation et en respectant les seuils de tolérance”.

Sans retour en arrière pour comprendre comment, en résumé c’est bien la lutte chimique dans sa forme intégrale qui se trouve remise en question par cette définition. Or, c’est l’usage dévoyé de cet outil qu’il nous faut mettre en cause et non l’outil lui-même. Comme chacun sait, c’est aux Etats-Unis que cette rupture a été la plus rapide, sans doute parce que les premiers dérèglements y étaient plus forts qu’en Europe. Depuis, çà et là, le modèle de protection chimique pure et dure cède aux ruptures, laissant la voix au faire autrement, à d’autres voies autres que celle pratiquée. La lutte intégrée est devenue alors un slogan miraculeux qui contiendrait la solution à tous les problèmes des cultures. Elle serait la clé de l’équilibre, du respect de l’environnement. Elle se veut aussi sociale. Elle porte en elle le creuset d’une nouvelle agriculture plus équitable, écologique. Elle ouvre de grandes promesses : réparer les vergers corrompus et prolonger leur vie. Et partout, l’on entend donc chanter ses louanges. Hors lutte intégrée point de salut. Qui ne rêve dès lors d’en appliquer les principes dans son champ et recréer les conditions propices à son application. Voila ce à quoi justement est consacré cet article.

La LI n’est pas un procédé isolé pouvant être déconnecté de tout le reste du système technique. Elle se met en place au moyen d’outils, d’études, de collaboration et de persévérance. Elle bénéficie en cela de soutien des chercheurs, des phytosanitaires, des producteurs, qui sans accomplir toute la tâche à eux seuls, la rendent enfin possible. Dans cette alliance à trois figures, chacun sécrète des idées et des pratiques, qui donnent valeur aux procédés susceptibles de mise en pratique. Ces procédés, divers et variés, ne seraient que recette inutile- et il y’en a dans nos vergers de ces poudres de perlimpinpin- si le besoin ne s’en manifestait pas. La réussite d’une prestation est générée par la mise en rapport de ceux qui ont des besoins et de ceux qui peuvent y répondre. Il s’ensuit donc toute une gestion compliquée de techniques et d’agissements. C’est là le résultat d’un choix et non d’une quelconque impulsion ; une gestion à multiple conseils. Pour faire court, on ne se réveille pas le matin et on se dit, tout comme si on enfourchait son tracteur pour épandre un quelconque pesticide : « aujourd’hui je vais intégrer ma lutte ! ». Cette façon de faire, assez banale d’ailleurs, n’est en vérité qu’un visage de l’immobilisme des années 1960-1970.

Vu ainsi, le diagnostic peut paraitre facile à faire. A l’évidence, tout le monde fait ou peut faire impulsivement de la lutte intégrée. Inutile de revenir sur ce sujet. Maintes fois et dans cette même revue, nous avons enfourché nous aussi notre dada pour arrêter particulièrement les responsabilités des chercheurs et des phytosanitaires. Aujourd’hui, le point de départ de notre réflexion est la contribution du producteur dans la mesure où il est l’adhérant dominant, souvent oublié ou se laissant taire par désintérêt ou se croyant moins savant, de la LI. En plus nuancé, il est la clé de l’intégration et le lieu pour chacun des intervenants d’être en interaction avec les autres. Bien des difficultés seraient évitées et des avancées réalisées s’il se comportait ainsi. Et nous pouvons affirmer avec humour que la lutte intégrée ne serait pas ce que mesurent quelques tests, disant par là que tout l’édifice ne repose pas sur un truquage des mots et des sens des mots !

Pour que les aspects positifs de la LI puissent être exploités pleinement, certains critères doivent être remplis. L’application au niveau du champ en est le plus important car il nécessite des mesures particulières qui touchent les différents intéressés, sinon on n’aura fait qu’un pas insuffisant vers l’objectif espéré.

Les producteurs sont habitués à la lutte chimique. Sur ce marché, de multiples matières sont présentes à des prix généralement avantageux. Elles donnent d’excellents résultats, visibles immédiatement et d’application facile. Si besoin est, une lecture sommaire du prospectus suffit. Certains agriculteurs voient dans le prix du pesticide le reflet de son efficacité. En revanche, les méthodes de lutte intégrée exigent une connaissance plus détaillée des différents ravageurs et de leurs particularités. Ainsi, par des dépistages réguliers des ravageurs, il faut déterminer le moment le plus opportun d’application des mesures de lutte. A un stade plus avancé, il faut aussi tenir compte de la présence des auxiliaires. Les méthodes de lutte intégrée exigent donc une bien plus grande technicité et une disponibilité du producteur. A cela s’ajoute un facteur psychologique. Les traitements chimiques classiques visaient à éliminer les ravageurs le plus radicalement possible. En lutte intégrée, par contre, on cherche à les réduire en dessous de certains seuils. Au fond, il ne s’agit plus de massacrer les ravageurs avec bonne conscience, mais de les ramener à des niveaux tolérables. Cette démarche requiert d’abord que les producteurs s’habituent au fait que la présence de ravageurs ne signifie pas automatiquement qu’ils doivent prendre des mesures de suppression et qu’ils aient acquis en conséquence suffisamment de confiance dans les méthodes de lutte intégrée pour ne plus s’affoler au moindre dégât.

Pour aller au bout de nos idées, les actions relevant du producteur sont nombreuses. Disons de suite que l’application de la lutte intégrée exige un effort particulier du producteur ou de ses employés. Il s’agit surtout de mener des observations régulières sur les cultures, de les interpréter et de les commenter correctement. Pour cela, le producteur doit être suffisamment instruit dans les différentes techniques et que les usages à respecter soient bien définis.

 

Niveau professionnel requis

La méthode clé consiste en des stages de formation dans les techniques de la lutte intégrée. Ces stages sont destinés à la formation des producteurs ou de leurs agents de terrain. Le besoin étant fonction du niveau, les formations comprendront évidemment :

– une introduction théorique très générale aux principes de la lutte intégrée (historique, évolution de la lutte, etc.) ;

– une initiation à la toxicologie des pesticides employés ;

– une idée sur la diversité de la faune d’une culture ;

– des cours simplifiés sur l’échantillonnage, la reconnaissance et la biologie des principaux ravageurs et auxiliaires ;

– des visites sur le terrain tout au long de la saison pour fixer les idées.

 

Les expériences acquises jusqu’à maintenant chez nous, à titre individuel, ou ailleurs d’une manière collective, montrent que les agents ainsi formés acquièrent rapidement une idée assez complète de la pratique de la lutte intégrée et parlent un langage professionnel commun. Mais ils ne sont cependant pas encore capables d’exécuter à eux seuls le programme d’observations prescrites. Des entretiens réguliers avec un conseiller spécialisé en la matière demeurent nécessaires et apportent la confiance et le soutien souhaités.

A la fin de cette première session, déployée sur une campagne, les candidats arriveront certainement à inventorier assez bien les ravageurs les plus importants, mais il peut leur manquer souvent encore l’expérience et la confiance pour pouvoir interpréter leurs données et tirer les conclusions nécessaires à l’exécution du programme de traitements. Des stages complémentaires durant l’hiver et au cours d’une deuxième année d’application pratique suffiront à combler les déficiences.

Ce mécanisme est souvent observé épisodiquement par diverses administrations de développement (Offices, Directions de l’agriculture…) mais manque cependant de cette façon d’aller au bout de nos bonnes idées, caractéristique gênante qui n’aboutit à rien de stable, car à la merci d’un événement extérieur modifiant le comportement des uns ou des autres (budget, changement de priorité, mauvaise suite dans les idées, dénigrement, changement de responsable, etc.). Voilà pourquoi certaines formations demeurent pauvres en véritable développement. Loin de nous l’intention de déprécier injustement ou de disqualifier une quelconque institution, nous attirons seulement l’attention sur le fait que l’on ne peut se désintéresser des effets que nos produisons sur le public.

Finalement, à la question : quelle est la valeur du service rendu par de telles formations tronquées, en toute bonne foi aucune réponse ne peut être donnée. Je n’accuse personne mais ce que je retiens de ma longue carrière professionnelle, c’est qu’il faut beaucoup d’hommes pour faire un homme. Et c’est justement dans cette dernière vraisemblance que réside la clé du mystère. Il fut une époque où le discours officiel magnifiait tout ce qu’on faisait, nous le rappelait sans cesse, pour mieux nous convaincre qu’il ne faut rien changer, voire même persévérer dans la bêtise. Ce discours périmé, dommageable pour tous, commence ou doit laisser place à la vérité. Tant il est vrai que nos records de production, d’exportation, d’innovation, cohabitent avec nos records de chômage, de pauvreté, d’illettrisme… plaies sans doute impossibles à dissimuler. Fermons cette parenthèse dérangeante, imposée par les circonstances, qui relève d’autres compétences.

Les agents, forts de leur formation tant pratique que théorique, deviennent entièrement responsables du déroulement des programmes d’observation et de l’exécution des traitements dans leurs domaines. Des contacts réguliers avec des spécialistes plus expérimentés restent cependant nécessaires pour résoudre les questions particulières. Ce dialogue est en outre indispensable pour que les producteurs et leurs techniciens impliqués soient bien tenus au courant des résultats les plus récents de la recherche afin qu’ils puissent en profiter pleinement et accumuler des capacités croissantes. Ils peuvent aussi accepter la solidarité avec des producteurs peu qualifiés. Une action coordonnée avec les riverains entrainerait certainement une meilleure efficacité. Ainsi d’autres professionnels arriveront, s’ajouteront aux premiers, attireront les suivants, etc. ; le groupe deviendra alors une unité d’échange et de débat. Car seul l’appel à l’intelligence est susceptible d’engendrer des répercussions intelligentes !

Le processus de formation décrit a un complément guidant vers le sens de l’amélioration. Le groupe de travail “lutte intégrée dans les vergers” de I’OILB/SROP (Organisation Internationale de Lutte Biologique/Section Régionale Ouest Paléartique) a établi avec clarté et compétence les directives générales concernant les connaissances pratiques requises de la part des producteurs. On peut les regrouper en deux rubriques :

 

„ Connaissances générales des facteurs influant sur la qualité des fruits :

– spécificités des variétés ;

– fertilisation ;

– taille des arbres ;

– éclaircissage des fruits ;

– conditions d’entreposage des fruits.

 

„ Connaissances spéciales portant sur l’aspect phytosanitaire de la production :

– dispositions légales dans le domaine de la lutte antiparasitaire ;

– possibilités d’amélioration de l’action des facteurs naturels s’opposant aux pullulations des déprédateurs et aux maladies cryptogamiques ;

– les cycles évolutifs des nuisibles et de leurs ennemis naturels, leurs relations réciproques, et la biologie des maladies cryptogamiques (connaissance et habilité pratique en matière de méthodes de recensement des populations des ravageurs et de leurs ennemis naturels, ainsi que des seuils de tolérance) ;

– l’action et les effets secondaires des produits antiparasitaires et d’autres substances utilisées en verger.

 

Cette représentation modèle, qui a pour les professionnels d’aujourd’hui des allures de rétablissement de vergers malades doit être le résultat progressif et laborieux des divers spécialistes du terrain. L’application de la lutte intégrée est au fond un développement normal dans l’évolution de la protection des plantes. A chaque stade, chacun doit agir dans le sens d’une amélioration. Les techniciens et les producteurs gagnent à travailler ensemble avec compétence. Les producteurs doivent avoir le courage d’accepter le jeu d’observations et de modifier leurs habitudes coutumières. Toutefois, par sa plus grande complexité d’emploi, la lutte intégrée, souvent vue en opposition à la lutte chimique conventionnelle, demandera, au moins pendant une phase de transition, un effort soutenu et une sérieuse persévérance de tous ceux qui participent à la production. Et, au final, quand chacun aura fait ses calculs, la conclusion ne sera que triomphante.

Par ailleurs, cet effort réel doit pousser les producteurs à rechercher un accommodement commercial. Il semble dès lors nécessaire que leur peine soit reconnue, et que les récoltes des vergers où la lutte intégrée est appliquée puissent être reconnues pendant la vente. Cela exige que ces produits soient labélisés. L’information donnée par le label devrait mettre le consommateur au courant des moyens techniques employés pour la production des fruits en question. Le consommateur se trouve souvent dans une situation où il aimerait disposer d’une information plus détaillée sur les antécédents de ce qu’il mange (résidus de pesticides, engrais, variété, région, producteur, etc.). Et comme l’application de la lutte intégrée mènerait automatiquement à un moindre emploi de pesticides conventionnels, c’est la meilleure manière d’espérer lui fournir ces éclaircissements et stimuler sa consommation.

 

 

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