Le rôle des brise-vent en agriculture
Prof. M’hamed HMIMINA
La période d’installation de nouveaux vergers approche et c’est pour nous l’occasion d’évoquer une pratique souvent négligée : l’aménagement de haies brise-vent autour et dans le verger en présentant leurs innombrables avantages dans la protection de la faune, des bâtiments, des sols, des cultures, etc.
La définition la plus basique du brise-vent est : un obstacle destiné à contrer le vent pour casser sa vitesse. Aussi distingue-t-on concrètement deux catégories fondamentales de haies :
– les brise-vent inertes, appelés aussi brise-vent artificiels, constitués de bois, de branchages, de roseaux, de filets, de lattes en matière plastique ou d’autres matériaux synthétiques destinés à protéger des cultures maraîchères établies sur de petites surfaces ou sur des terrains en location, des closeries, des enclos pour bétail… ;
– les brise-vent vivants, dits aussi haies brise-vent ou brise-vent naturels, habituellement composés de végétaux vivants, en conséquence mieux intégrés dans le paysage, plus durables, plus esthétiques et plus économiques. Cependant, l’effet attendu des plantes qui les composent tarde généralement à venir en raison de leur croissance, et, plus âgées et mal accommodées elles peuvent concurrencer les cultures pour la lumière, l’eau et les éléments nutritifs. Ainsi, convient-il de rappeler qu’établir une haie n’est certainement pas une besogne accessoire laissée à l’initiative d’un quelconque tâcheron et au dernier moment, mais une opération attentive, concertée, raisonnée et cousue d’avance.
Utilisations des haies brise-vent
Une abondante littérature fait état de l’utilité des brise-vent et révèle des pans insoupçonnés de leur fonctionnement dans la réduction de l’érosion éolienne, la protection des édifices et des routes, le refuge et la préservation de la faune auxiliaire, la réduction de la dérive des pesticides, l’augmentation des rendements des cultures… Dans ce qui suit, nous essayons de regrouper les faits et les informations épars les concernant en un ensemble cohérent.
1-Réduction de l’érosion éolienne
En matière d’érosion éolienne, les haies exercent une action sur la vitesse du vent et la teneur en eau du sol. En réduisant ainsi la vélocité du vent et les pertes d’eau par évaporation, elles atténuent de façon remarquable les pertes en sol. Pour comprendre cette facette, signalons simplement que les décapages éoliens sont directement proportionnels au cube de la vitesse du vent et inversement proportionnels au carré de la teneur en eau moyenne du sol de surface. A titre d’exemple, un brise-vent, de perméabilité (surface occupée par les vides x 100% / surface totale du plan) de 40% et de hauteur H, réduit l’érosion éolienne de 50% en moyenne sur une distance allant de 6 fois sa hauteur H en amont à 22 H en aval de l’écran.
2-Augmentation des rendements
Outre cet avantage, nettement suffisant pour nous faire découvrir l’étendue des profits que recouvrent les haies, il est établi, par ailleurs, qu’elles engendrent des augmentations de rendements variant de 8 à 77%. Cette surprenante variabilité dans l’interaction des cultures dépend du type de culture, des sols, des variations climatiques et de la structure du brise-vent. Les meilleures augmentations de rendements s’observent généralement durant les saisons sèches.
Dans une parcelle, l’évolution des rendements en fonction de la distance suit le profil présenté par la figure ci-après. Les haies entraînent des pertes de rendement sur une distance de 0,5 à 1,5 H auxquelles suivent des gains généralement jusqu’à 10 H. A l’approche du second brise-vent, les rendements sont de nouveau en hausse à cause de la présence de celui-ci.
Évolution des rendements des cultures selon la distance dans la zone protégée par des haies.
Les gains de rendements s’expliquent par la réduction des dégâts mécaniques causés aux organes des plantes cultivées (feuilles, fleurs et fruits) mais aussi par une meilleure pollinisation associée à un plus grand nombre d’insectes pollinisateurs et à leur plus grande activité et par une augmentation de la température de l’air durant le jour. Les brise-vent peuvent également favoriser une meilleure distribution de l’eau des systèmes d’irrigation par aspersion.
3-Consolidation des traitements phytosanitaires et réduction de la dérive des pesticides
La diminution de la vitesse du vent rend l’application des pesticides plus efficace et réduit leur dérive sur les domaines limitrophes et les cultures adjacentes. En créant une zone plus calme, les gouttelettes pulvérisées ont tendance à rester dans la zone visée, ce qui améliore l’efficacité du traitement.
Un brise-vent en pleine feuillaison maximise l’interception des pesticides (60-85 %) comparativement à un autre au feuillage absent ou en développement (10-50 %), et ce, sur une distance d’environ trois fois la hauteur des arbres comme le montre le tableau démonstratif ci-après.
Pays | Type de culture | Type de brise-vent | Diminution de la dérive |
Italie | Non spécifié | Platane et autres feuillus : H = 7-8 mètres | Réduction de plus de 80% sur les 12 premiers mètres en aval de la haie |
Pays bas | Pommiers | Aulne cordé, conifère et saule : H = 4-5 mètres | Réduction de 10-20% sur les 8 premiers mètres si feuillage absent et 60-85% si pleine feuillaison |
Grande Bretagne | Pommiers | Aulne cordé et aulne blanc : H = 5-6 mètres | Réduction de 50% sur les 3 premiers mètres si feuillage en développement et 80% si pleine feuillaison |
4- Conservation de la flore et de la faune
Les haies constituent des habitats potentiels pour de nombreux arthropodes bien utiles à la mise en œuvre d’une protection intégrée car les végétaux, introduits ou sauvages qui les composent leur fournissent des avantages non négligeables. Des espèces d’insectes et d’oiseaux y accomplissent même la totalité de leur cycle, alors que d’autres profitent de ce type d’habitat pour n’entreprendre que certaines étapes, pour le compléter ou s’y refugier lors d’un traitement phytosanitaire. C’est pour cette activité que les haies sont considérées par les agriculteurs comme pouvant nuire aux cultures adjacentes. Elles constitueraient selon eux des réservoirs d’insectes ravageurs et vecteurs de maladies que certains traitent intentionnellement avec des pesticides pour enrayer leur invasion.
5- Réduction des nuisances et amélioration du cadre de vie
Les brise-vent protègent les bâtiments et agrémentent le cadre de vie en réduisant le volume des poussières en suspension dans l’air, en atténuant les bruits, en offrant de l’ombre pendant les périodes caniculaires et en augmentant la biodiversité et l’activité utile des prédateurs, des parasitoïdes et des oiseaux. L’introduction d’espèces d’arbres donnant du bois, des fruits valorise encore davantage l’investissement que constitue la haie.
Propriétés et caractéristiques d’un brise-vent
L’efficacité d’un brise-vent découle de l’état de certains paramètres qu’il faut absolument faire entrer en ligne de compte pour lui permettre de jouer parfaitement son rôle. Nous les faisons valoir succinctement ci-après.
– Perméabilité : une bonne haie est un filtre dont l’effet produit peut être défini par la formule suivante : surface occupée par les vides x 100% /surface totale du plan. Et l’on comprend que la porosité d’une haie procède de sa composition, de son agencement et de son entretien… ;
– Hauteur : elle détermine l’espace à protéger d’où l’intérêt d’utiliser en verger des haies composées d’arbres et de grands arbustes ;
– Largeur : la largeur du brise-vent, associée souvent au nombre de rangées, est importante dans la mesure où elle détermine sa perméabilité. Normalement, plus le brise-vent est large, plus il est imperméable. Une largeur minimum homogène est donc nécessaire. Deux ou trois rangées plutôt qu’une permettent un renouvellement plus facile du brise-vent, favorisent l’introduction d’un plus grand nombre d’espèces d’arbres et d’arbustes, offrant ainsi une meilleure assurance de protection. En contrepartie, une rangée exige moins d’entretien et occupe moins d’espace. Ce dernier motif étant très important pour les producteurs car la perte d’espace cultivable constitue le principal coût lié à l’installation d’un brise-vent ;
– Longueur : outre le fait de passer par dessus la haie, le vent s’échappe aussi par ses extrémités. Par conséquent, le brise-vent doit être suffisamment étendu pour assurer une protection adéquate. Selon certains travaux, il doit avoir une longueur d’au moins 11,5 H. À partir de cette valeur, toute augmentation de la longueur du brise-vent se traduit par un accroissement égal de la largeur de la bande dans laquelle l’effet protecteur est maximal ;
– Position topographique : la pente du terrain influence la longueur de la zone protégée. Une pente descendante vers la haie confère une zone protégée plus longue qu’une pente ascendante ;
– Orientation : elle détermine l’ombre et la concurrence sur les cultures. Le brise-vent doit être orienté perpendiculairement aux vents dominants. Lorsque le vent frappe un rideau d’arbres avec un angle différent de 90 degrés, l’épaisseur à traverser est plus grande, ce qui diminue la perméabilité du brise-vent ;
– Forme du profil transversal : la section transversale affecte peu la perméabilité. Les formes inclinées du côté du vent ont tendance à soulever l’air par-dessus le brise-vent et à réduire sa perméabilité. Toutefois, dans les zones arides et en bordure de mer, lorsque les arbres ont des difficultés à s’installer, une forme inclinée avec des essences de taille croissante peut être avantageuse.
– Autres facteurs : un brise-vent flexible entraînerait une plus grande perte d’énergie qu’un brise-vent raide et par conséquent une meilleure protection. Les facteurs qui influencent la turbulence du vent, comme la présence d’obstacles ou la rugosité de la surface doivent être pris en considération.
Types de brise vent
Les haies présentent diverses configurations et on ne conçoit d’autres limites à leur présentation que celles où s’arrêtent l’imagination et l’aptitude du producteur. Mais de façon générale quatre figures prédominent :
– Les haies futaies : composées de peuplement monospécifique serré (cyprès, oliviers, acacia, peuplier…). Il en résulte un bon brise-vent, mais une production de bois de qualité médiocre ;
Les haies de taillis : composées d’espèces à fort potentiel de rejets, elles constituent un excellent brise-vent et un gros producteur de bois de chauffage ;
– Les haies arbustives : rarement libres, elles sont sévèrement taillées pour en faire plus une clôture qu’un véritable brise-vent (troène, myoporum, aubépine, roseaux…). Une remarque : le troène peut être mortel lors de l’ingestion de ses feuilles (cheval, ruminants) ou de ses baies (chien, enfants). La mort peut survenir quelques heures après l’absorption ;
– Les haies complexes : à deux ou trois strates, avec des associations d’essences, arbustes bas, arbustes hauts, arbres et cépées, sur une ou plusieurs lignes. C’est le brise-vent actuel qui cumule diverses fonctions écologiques et qui peut produire du bois de qualité.
Quelque soit le modèle retenu, on devrait implanter au moins deux espèces différentes de végétaux dans une haie. Et, comme la haie entraîne des pertes de rendements sur environ une fois sa hauteur, on en tiendra compte lors de la plantation de la culture et on l’installera en bordure d’un passage, d’une route, d’un fossé afin de minimiser les pertes de rendements.
Objectifs, installation et critères de choix de végétaux
Comme ça a été dit auparavant, la mise en place d’un brise-vent doit être planifiée avec soin. La première étape consiste à déterminer ses perméabilités hivernales et estivales, qui varieront en fonction des objectifs de protection : bâtiments, animaux, cultures annuelles, vergers…
L’adaptation des végétaux aux conditions climatiques et leur aménagement de façon à contrarier les vents et à soutenir les perméabilités hivernales et estivales requises est une exigence fondamentale. Si l’on désire protéger des étables et des bergeries, il est judicieux d’associer des espèces à feuilles persistantes et caduques. En verger, on opte généralement pour des haies constituées d’une seule rangée d’arbres à feuilles caduques espacés de deux mètres. Cela permet d’avoir une bonne protection en période de risque et un bouclier de moindre importance l’hiver, période de repos végétatif des cultures. Les espèces à feuilles persistantes ne doivent pas être mises aux oubliettes, à condition de s’assurer toutefois de leur porosité hivernale. Celle-ci doit être élevée afin d’éviter l’ombrage préjudiciable aux arbres, les accumulations d’eau et les engorgements susceptibles de retarder l’entrée dans les champs et de bloquer les travaux. La porosité de la haie peut être renforcée en choisissant des espèces à feuillage moins dense, en espaçant les arbres et en élaguant la base de la haie. On peut aussi s’inspirer des modèles européens et intercaler des arbustes entre les arbres. La haie est alors composée d’arbres de haut jet espacés de 4 à 6 mètres, selon la largeur et d’arbustes insérés à mi-distance entre ces grands arbres.
Inconvénients des brise-vent
Toute technique est un mélange souvent encombré d’inconvénients face aux nombreux avantages qu’elle offre. De ce fait, les haies, présentent quelques contrariétés embarrassantes. Elles augmentent les risques du gel printanier en verger surtout par nuit claire et vent léger, en réduisant le brassage d’air qui favorise le réchauffement des températures près de la surface du sol. En années humides, les brise-vent peuvent augmenter l’incidence de maladies fongiques en réduisant la circulation de l’air. Ces incommodités peuvent être vaincues par la mise en place de brise-vent à porosité élevée.
L’apport massif d’insectes ravageurs ou utiles et les rassemblements de moineaux et étourneaux provoqués par le brise-vent sont indéniables. Là encore les viticulteurs et les oléiculteurs prennent les haies pour un véritable hôte d’enfer !
Le potentiel d’utilisation des haies brise-vent dans nos conditions est considérable. Toutefois, pour obtenir la protection désirée, on doit comprendre au préalable l’influence des caractéristiques physiques du brise-vent sur l’écoulement de l’air.
Les haies brise-vent installés convenablement sont très utiles en agriculture pour protéger les sols, les cultures, les animaux d’élevage et les bâtiments de ferme… Elles contribuent à améliorer le cadre de vie des ruraux et peuvent s’avérer une source non négligeable de bois et de fruits.
Pour être efficaces, les haies brise-vent devront être implantées de façon à respecter les critères de porosité, de hauteur, de longueur, de largeur et d’orientation qui conviennent aux exigences de protection. La porosité idéale pour une réduction optimale de la vitesse du vent, en termes de longueur protégée et d’intensité de protection, est de 40%. Un brise-vent d’une telle porosité entraîne une réduction moyenne de la vitesse du vent de 50% sur 10 fois sa hauteur et de 25% entre 10 et 20 fois ce même paramètre.