L’acarien des céréales (Penthaleus major (Dugès), Penthaleidae) :
Éléments de biologie et dispositions pour son contrôle
Prof. Hmimina M. IAV Hassan II – Rabat
La position de la céréaliculture marocaine, vis-à-vis du problème Acariens, est favorable quant au développement de ces ravageurs. Il était attendu donc qu’ils menacent le développement de cette filière. Cette présomption est une réalité aujourd’hui, et il est pressant de connaitre la nature exacte de cette irruption, actuellement limitée dans l’espace, mais susceptible d’essaimer de ses foyers d’origine vers d’autres zones, et le moyen d’éviter son extension.
Dans cet écrit, nous allons tenter de donner quelques indications sur le ravageur et de suggérer certaines mesures propres à éviter son développement, partant, bien entendu, de l’hypothèse d’une évolution technique positive. Les sources utilisées pour les besoins de ce texte sont des observations personnelles encore indigentes et les informations fort abondantes de la littérature internationale.
Autrement dit, il s’agit de mettre à la disposition des céréaliculteurs des moyens pour améliorer leur signalisation et que la lutte, à l’échelon de l’exploitation, soit moins anarchique. Alors qu’une telle émergence et l’importance des conséquences socio-économiques et environnementales qu’elle engendre incontestablement devrait entrainer des stratégies de gestion des risques. A ce jour les services officiels chargés de la phytoprotection ne semblent avoir donné ni au niveau local ni à l’échelle nationale, puisque le problème a été signalé dans la province de Meknès en 2016, une alerte précoce permettant d’éradiquer les foyers ou de mieux en maitriser l’extension. En effet, les prévisions des émergences permettent de préparer à l’avance la lutte sur le terrain en établissant un plan d’urgence. Ce plan d’urgence prévoit l’enchainement des dispositions à prendre, les méthodes d’inspection et de lutte sur le terrain, les mesures réglementaires appropriées et la stratégie de communication à mettre en œuvre.
L’acarien
L’espèce en question est Penthaleus major (Dugès), (Penthaleidae), cosmopolite et polyphage, frappant les cultures maraîchères et les céréales. Jusqu’à récemment cette espèce était supposée une seule, mais les travaux taxonomiques ont révélé qu’il s’agit d’un complexe d’espèces cryptiques, composé de trois espèces formellement décrites: Penthaleus major (Dugés), Penthaleus falcatus (Qin et Halliday) et Penthaleus tectus (Halliday).
Au Maghreb, P. major a été déjà signalé par Athias-Henriot dans des emblavures algériennes de Zemmora, d’Aïn Karma, etc. en 1959. Une autre menace, non moins comminatoire, flotte sur notre céréaliculture : il s’agit du genre Petrobia. Et bien qu’aucun dégât dû à une espèce de ce genre ne soit actuellement signalé chez nous, en Espagne et dans divers autres pays, les populations de P. latens (Müller), par ailleurs très polyphage, atteignent sur certaines cultures des niveaux économiques préoccupants.
Penthaleus major est bleu foncé-noir et mesure environ 1 mm de long sur 0,8 mm de large, soit à peu près la taille d’une tête d’épingle. Ses pièces buccales sont d’une teinte verdâtre et ses yeux sont argentés. Une marque rouge caractéristique sur le dos, pore anal entouré par une tache rouge-orange, le différencie des autres acariens. Ses huit pattes sont rouge-orange (Fig. 1).
Figure 1. Penthaleus major adulte
Œufs
Fraîchement pondus ils sont lisses, rouge-orange, en forme de rein. Quelques minutes après la ponte, ils deviennent ridés. Plus tard, leur couleur devient jaune paille. Les œufs sont difficiles à voir en raison de leur petite taille (0,25 mm de long) et leur disposition sur les brins d’herbe, sur les racines et les chaumes.
Stades immatures
Les larves mesurent 0,18 mm de long et ont trois paires de pattes. Elles sont rouge-orange au début mais deviennent brun clair quelques heures après. Leurs pattes restent jaune-orange. Avant la mue nymphale, les larves tournent au brun foncé puis prennent une teinte verdâtre. La différence la plus notable entre les larves et les nymphes est l’ajout d’une quatrième paire de pattes. Sauf augmentation progressive de la taille, les trois stades de développement larvaires sont comparables dans leur apparence. Le corps est brun foncé et les pattes sont jaune-orange. Avant chaque mue, les nymphes deviennent dodues et prennent une teinte verdâtre. Les nymphes du troisième stade subissent une mue finale pour devenir adultes.
Symptômes et dégâts
Au moyen de ses pièces buccales P. major attaque les plantules et les plantes dont il lacère les tissus foliaires pour aspirer leur sève Ses dégâts s’étendent d’année en année mais ne se manifestent pas par un jaunissement des plantes, comme il est le cas pour la plupart des autres acariens ravageurs, mais par un aspect plombé du feuillage et un nanisme des plantes. Des dommages spécifiques apparaissent sous la forme de plages argentées ou blanchâtres sur le feuillage attaqué. La destruction des cellules et de la cuticule qui en résulte favorise le dessèchement, retarde la photosynthèse et produit l’argenture caractéristique qui est souvent confondue avec des dégâts de gel (Fig. 2). Un champ fortement infesté peut sembler gris-argenté et si la population est abondante la prise de nourriture qu’elle occasionne conduit à la mort des plantes.
Figure 2. Dégâts de P. major sur céréale
Biologie
P. major, appelé communément acarien des céréales d’hiver, est actif entre mi-automne et fin avril, c’est-à-dire durant la période de l’année où le développement des céréales est possible. A l’origine, considéré comme un ravageur de l’orge, de l’avoine du seigle et du blé, l’acarien attaque diverses espèces notamment les gazons, le ray gras, l’agrostide, la fétuque, les radis, les laitues, le chardon, le trèfle, le pois, la luzerne, les légumineuses et diverses mauvaises herbes…
Nuisible l’hiver où les populations sont plus abondantes, l’acarien peut développer deux à trois générations d’une durée de 8 à 10 semaines chacune. La première génération émerge l’automne à partir d’œufs en diapause estivale dont le développement embryonnaire est déclenché par les précipitations automnales. L’acarien se reproduit ensuite par parthénogenèse obligatoire, c’est-à-dire que les femelles pondent des œufs non fécondés.
Les femelles placent leurs œufs isolés ou par petits groupes de trois à six sur les feuilles, les tiges et les racines ou à même la surface du sol. Nouvellement éclos les jeunes acariens se nourrissent sur les feuilles tendres et les cotylédons près du sol. Plus âgés, ils se nourrissent la nuit sur les parties supérieures des plantes et même le jour lorsque le temps est nuageux ou froid. Durant la partie la plus chaude de la journée ils ont tendance à se concentrer à la base des plantes, à l’abri dans les gaines foliaires, sous des débris ou sous le paillage. Ils se déplacent à la surface du sol et dans le sol pour chercher l’humidité et éviter les chaleurs. Lorsque le temps est chaud et sec, ils s’enfouissent dans le sol jusqu’à 12 cm de profondeur. Les acariens ne sont pas affectés par les grandes périodes d’humidité, les précipitations et les courtes périodes de gel.
En conditions thermiques optimales, le cycle de développement de l’acarien est de 98 jours répartis comme suit : incubation des œufs = 25 jours, stade larvaire = 12 jours, stade nymphal 1 = 9 jours, stade nymphal 2 = 8 jours, stade nymphal 3 = 7 jours, Adulte = 38 jours. La ponte est abondante entre 10 et 16°C. Les femelles ne nécessitent pas de mâles. Les œufs non fécondés produisent des femelles. Le nombre moyen d’œufs pondus par femelle est de 31 éléments. La température optimale pour l’éclosion des œufs se situe entre 7 et 13°C. Les adultes sont actifs entre 4,5 et 24°C. Ces données montrent qu’il s’agit d’un acarien assurément bien adapté aux conditions hivernales et au cycle des céréales.
Eu égard aux données bibliographiques, l’acarien développerait deux à trois générations sur céréales. La reprise d’activité commence avec les semailles vers mi-novembre lorsque les températures deviennent fraiches et l’humidité suffisante pour stimuler l’éclosion des œufs en diapause. Ces premières larves constituent le point de départ de la première génération et des dégâts sur les cultures. L’activité de l’acarien continue sans interruption durant l’automne et l’hiver puis cesse vers la mi-avril après que les adultes de printemps aient pondu des œufs en diapause obligatoire, qui comme on l’a mentionné plus haut n’écloront pas en raison des températures élevées incommodantes pour l’acarien. C’est donc 5 mois environ que P. major passe à l’état d’œuf dans les champs. Le pic de la première génération se situe vers décembre-janvier. La deuxième génération d’individus actifs se situe entre mars et avril. L’allégement des populations et leur pression sur les cultures se produisent au moment où les températures commencent à s’élever durablement (Fig. 3).
Observation et contrôle de l’acarien
Il est difficile d’estimer les populations de l’acarien sur céréales en raison de leur petite taille, de leur manière de s’enterrer dans le sol et de leur sensibilité à la lumière du jour dont ils cherchent à se cacher assidument. A la fin de la journée, les acariens quittent le sol et grimpent sur les plantes pour s’alimenter de nuit. Par temps couvert, les acariens peuvent être actifs tout au long de la journée. Même s’il est possible de procéder à leur dénombrement par des techniques combinées, l’issue d’un éventuel traitement chimique demeure incertaine car aucun pesticide n’est autorisé à ce jour sur les céréales, qui du reste supporteraient malaisément de coûteux traitements acaricides spécifiques. Pour combattre le ravageur il reste néanmoins les techniques culturales, qui bien accommodées abaissent les populations de manière satisfaisante.
Dans l’ensemble, tout ce qui renforce la vigueur de la plante défait les populations du ravageur et réduit l’étendue de ses dommages. Certaines mauvaises herbes (chardons) et cultures (trèfle, pois, luzerne, graminées, fèves, féveroles…) sont des hôtes préférentiels de l’acarien. En zones infestées la rotation culturale constitue un moyen prophylactique notable. Les facteurs défavorables au pullulement de l’acarien sont les travaux du sol en période estivale. Ils diminuent significativement le nombre d’œufs dormants en les exposant aux grandes chaleurs estivales. Le brulage des chaumes après moisson peut produire un effet similaire.
Bien que certains acariens prédateurs aient été observés attaquant P. latens, leur évaluation en lutte biologique n’a pas été déterminée expérimentalement. En Australie, des acariens de la famille des Anystidae sont utilisés pour contrôler biologiquement le ravageur.