Utilisation du sorgho comme brise vent starter pour de jeunes plantations d’agrumes
D’habitude, dans les vergers d’agrumes et les plantations arboricoles d’une manière générale, ce sont les essences forestières (Eucalyptus, Cyprès, Filao,..) qui sont utilisées comme brise-vent. Mais du fait de la croissance relativement lente de ces essences, il leur faut au moins 2 à 4 ans, avant d’être des haies de hauteur suffisante pouvant protéger les agrumes. Il en résulte un décalage inévitable de quelques années entre le moment où il a été décidé de planter et la mise en place effective de la plantation.
Il y a trente ans, ce décalage était perçu comme un passage obligé, beaucoup moins problématique qu’il ne l’est aujourd’hui, que ce soit sur le plan financier ou commercial. Le verger d’agrumes était en effet, moins exigeant en montant d’investissement et le plus souvent en grande partie ou en totalité autofinancé. Il était en outre créé avec l’objectif d’être rentabilisé sur une durée très longue de 50 ans et plus, peu influencée par les 2 à 4 années de retard causé par la préparation du brise-vent. Aujourd’hui, le raisonnement est différent. L’investissement sur un verger moderne est très lourd et souvent financé avec des emprunts, remboursables à des échéanciers que le producteur est tenu de respecter. D’autre part, en cas de nouveau clone très rémunérateur, il est évident qu’il y a intérêt à arriver sur le marché parmi les premiers pour profiter des meilleurs prix et non avec retard, c’est-à-dire en un moment où l’offre commence à l’emporter sur la demande. Le cas d’école au Maroc a été celui de l’Ortanique. Lancé en 1988, cet hybride avait laissé un prix extraordinaire d’environ 11 Dh/kg net producteur pour un volume export de moins de 6000 T, contre 8 Dh en 1991 pour un volume de 14.000 T, et seulement 2Dh/kg huit ans plus tard, lorsque le volume exporté a dépassé 50.000 T. D’où l’intérêt de démarrer à chaque fois, brise-vent et verger à la fois, afin de gagner du temps et d’arriver sur le marché parmi les premiers.
Efficacité et coût des différents brise-vents
Cette efficacité a fait l’objet d’une étude ayant duré 3 ans, sur un verger de 500 ha de mandarinier Afourer (Nadorcott), planté dans la zone de Larache (nord ouest du Maroc), caractérisée par ses vents forts (grand vent à violente tempête sur l’échelle de Beaufort).
L’étude a pris en considération de nombreuses variables rencontrées habituellement dans une exploitation d’agrumes afin d’évaluer l’impact combiné de tous ces facteurs de production avec la topographie, le type de sol, etc. Ainsi, différents porte greffes ont été utilisés, différents nombres de lignes de plantation du sorgho en culture intercalaire essayés, différentes situations de protection des rangées d’Afourer comparées, … Les mesures et observations ont porté sur de nombreux critères comme la précocité du débourrement, l’intensité et la régularité de la floraison, la chute des fruits après nouaison, la croissance en hauteur, la couverture foliaire, le diamètre du porte greffe, le rendement, le calibre, etc.
Les données obtenues montrent que c’est derrière le filet synthétique tissé de porosité 70 %, que le plus faible coefficient d’efficacité a été obtenu (30 à 38 %). Des mesures ont également été réalisées à titre indicatif derrière l’acacia qui borde la ferme et derrière la vieille ligne d’eucalyptus conservée des vieux brise-vents, au moment des plantations. Les résultats montrent une protection de verger sur une distance d’un peu plus de 90m pour l’acacia haute de 7-8 m et 70 m pour l’eucalyptus haut de 10-12 m (E passe de 78 % à 35 %).
Du fait de son prix exorbitant, le recours au filet synthétique comme brise-vent étant exclu dans le cas des agrumes, le problème de brise-vent a été résolu avec une méthode agronomique bon marché utilisant du sorgho conventionnel conduit selon un protocole de culture approprié pour protéger les jeunes plantations. En effet, on propose le sorgho comme brise-vent starter pour protéger les jeunes plantations d’agrumes dans les zones ventées, le temps que le brise-vent pérenne à base d’essences forestières atteigne une hauteur suffisante.
Les résultats montrent que l’efficacité du sorgho est meilleure lorsque la variété utilisée est de type conventionnel non sensible à la verse, semée fin juin afin d’avoir un feuillage encore vert à l’arrivée du vent hivernal. D’après cette expérience, il faut prévoir deux lignes jumelées par ligne de plantation avec un écartement entre lignes de 50 cm, un espacement entre graines de 3.5 cm, et un éloignement d’au moins 1.5 mètre de la ligne de plantation pour éviter les phénomènes de concurrence avec les jeunes plants d’agrumes. Le sorgho doit être irrigué et fertilisé à part, et bien entretenu contre les mauvaises herbes et les maladies afin d’avoir une croissance dépassant largement celle du jeune plant à protéger. Le sorgho doit être renouvelé chaque année, de préférence au moyen d’un nouveau semis.
D’une manière générale, les parcelles donnant directement sur la mer, les petites crêtes, les pistes de circulation entre parcelles, du fait de leur effet «couloir», sont des sites aggravants de l’action néfaste du vent, tandis que le bas de pente et les bas-fonds semblent améliorer la protection contre les méfaits du vent.
En fin, le brise-vent a aussi un coût économique d’installation et d’entretien. Dans la présente étude le moins cher est le Sorgho (<2000 Dh/ha) et le plus cher est celui réalisé par le filet synthétique tissé (12.000,00 à 15000 Dh/ha), puisqu’il doit être installé à la manière de celui des serres (conception type «amortisseur» avec perche mouvante sur semelle libre et double ancrage) et non planté droit dans le sol, autrement il risque d’être détruit au premier vent fort hivernal.
Croissance et entretien du sorgho brise-vent
Les essais menés sur cet aspect durant trois ans, montrent que dans la zone de Larache, il faut 90-95 jours par temps chaud, et 100-110 jours par temps clément, pour que le sorgho atteigne sa hauteur maximale, ce qui correspond à des sommes de températures (∑ θ °C) d’environ 1.150 °C. Un simple compte à rebours, suggère de semer ce brise- vent fin juin/début juillet si l’on veut faire coïncider sa croissance maximale (plante encore en bon état végétatif), avec l’arrivée des premiers vents forts de fin automne début hiver. Des semis trop précoces ou trop tardifs conduisent à la formation de rideaux peu efficaces, par perte de feuillage dans le premier cas et faute de hauteur suffisante, à cause du froid et de la photopériode, dans le second. En plantation sur butte, comme c’est le cas ici, le jeune plan est déjà surélevé de 0,50 m par rapport au sol, auxquels il faut ajouter la hauteur du plant de 0,8 m la première année et 1,5 m la deuxième année. Par conséquent, des variétés ou des dates de semis conduisant à des hauteurs finales du rideau de moins de 2,5-3 m ne sont pas intéressantes comme brise-vent.
Comme toute autre culture, le brise-vent doit être irrigué, fertilisé, et bien entretenu contre les mauvaises herbes et les maladies. Il est en outre renouvelé chaque année, à moins d’utiliser des variétés pérennes.
Sur le plan agronomique, il y a des précautions à prendre pour réaliser la culture afin d’en optimiser les performances en tant que brise vent. Il faut rechercher à la fois une plante de hauteur dépassant largement celle du jeune plant d’agrumes qu’elle est sensée protéger et conservant un feuillage dense et encore vert à l’arrivée des vents de l’hiver. La variété doit être de type conventionnel et non sensible à la verse. D’une manière générale, il faut éviter les sorghos BMR qui résistent peu à la force du vent. L’expérience réalisée avec des variétés d’origine américaine telles que Dairy Master et Sweeter Honey2 a montré que celles-ci sont très fragiles au niveau des premiers entre nœuds et versent sous l’effet de leur propre poids dès qu’il y a un peu de vent.
Le comportement des différents porte-greffes agrumes vis-à-vis des effets pervers du vent n’est pas le même et d’autres facteurs doivent être considérés pour les choix et la mise en place d’une exploitation. Parmi eux, les critères commerciaux, de régions et climat, de disponibilité de main d’œuvre pour la récolte… Finalement, sur le terrain, aucun porte greffe seul ne peut répondre à l’ensemble des exigences d’ordre commercial, agronomique, de gestion … auxquelles est confronté le producteur. Selon la région et l’importance du verger, on recherchera l’assortiment adapté (par ex. 60 % carrizo, 20 % volkameriana et 20 % autres porte-greffes pour le nord du pays).
Dans cette étude, nous n’avons expérimenté que le sorgho conventionnel comme brise-vent. Mais il va sans dire que d’autres espèces peuvent être utilisées, sous réserve de ne poser aucun problème de conduite ou de concurrence avec les jeunes plants, entre autres la canne à sucre, avec l’avantage supplémentaire d’être pluriannuelle.
Synthèse (par nos soins) du N° 196 du bulletin de TTA, dont les auteurs sont :
Aït Houssa A.(1), Eladnani M.(2), Hsayni M.(2), Maataoui A.(2), Benbella M.(2)
(1) Ferme Mazaria, Larache; (2) Ecole nationale de l’Agriculture de Meknès