Installation de la culture de la betterave à sucre :
Problématique du peuplement et parasitisme du sol
Nadif Abdelmajid, Behassan Idriss Office Régional de Développement Agricole du Gharb
Au Maroc, le sucre revêt une grande importance dans l’alimentation de la population. Nous figurons même parmi les premières nations au monde à consommer ce produit à rythme grandissant en fréquence et en quantité. Le sucre est consommé notamment avec le thé plusieurs fois par jour, surtout en milieu rural avec une dose par habitant tournant autour de 40 kg/an. Afin de subvenir à ce besoin, les deux cultures sucrières (betterave et canne à sucre) sont pratiquées dans les plus grands périmètres irrigués du royaume. Notre climat favorable fait que nous sommes avec l’Egypte les seuls pays au bassin méditerranéen à pouvoir les cultiver avec succès l’une à coté de l’autre (photo 1).
L’objectif visé actuellement par l’ensemble des acteurs de la filière est d’augmenter les niveaux de rendement, satisfaire dans la mesure du possible les besoins nationaux et atténuer notre dépendance vis-à-vis de l’étranger en matière d’approvisionnement en ce produit de première nécessité. Cependant, ces objectifs sont certainement trop ambitieux par rapport aux niveaux de rendements actuellement réalisés dans notre pays. En effet, le taux de satisfaction de nos besoins, qui avoisinait 50% il y a quelques années, n’est plus maintenant que de l’ordre de 40%. Ces faibles performances suscitent beaucoup de questions et à plusieurs niveaux. Mais quelles que soient les raisons avancées, elles restent loin de refléter les efforts consentis par l’Etat, en matière de subventions accordées et d’équipements hydro agricoles installés.
Pour sa part, la canne à sucre vit actuellement ses plus mauvais jours depuis son introduction au Maroc. Le problème de sa compétitivité se pose de plus en plus d’acuité. Malgré, les subventions accordées par l’Etat, les superficies cultivées n’arrivent toujours pas à atteindre les niveaux escomptés. Dans la zone de Belksiri, l’une des plus importantes zones cannières de la plaine du Gharb, cette superficie qui était de plus de 8.670 en 2005-06 ha ne représente actuellement que 3.000 ha et ce malgré les 6.000 dh/ha alloués par l’Etat il y a deux ans pour encourager sa relance.
Afin d’augmenter les superficies, on table toujours sur l’octroi de plus de subvention pour inciter les agriculteurs à cultiver la canne à sucre, alors que le vrai problème n’est pas encore traité dans le fond et dans sa globalité. En effet, la grande problématique de cette culture réside dans deux facteurs fondamentaux sur lesquels il faut se pencher sans tarder si on veut vraiment sauver cette culture tropicale de moins en moins convoitée. Le premier défi est le vieillissement de l’éventail variétal cultivé (variétés cultivées depuis plus de 20 ans) et le second est que parmi les trois variétés cultivées, deux sont infectées par des maladies. Leur faible rendement a crée une forte réticence des agriculteurs à leur plantation. Pire encore, la culture est restée pour la première fois de son histoire sans aucune protection contre les maladies. Aucune évaluation ni suivi de son état sanitaire n’ont été faits depuis des années. Ceci suscite de grands points d’interrogation sur l’avenir de la culture et limitera grandement l’impact de l’octroi des subventions sur sa pérennité.
Il nous reste alors la betterave à sucre comme solution d’espoir. Pour cette culture, l’introduction de variétés monogermes suite aux infections par le virus de la Rhizomanie a un peu révolutionné l’évolution de la culture. Les superficies qui régressaient avec les variétés polygermes ont repris de plus belle avec les monogermes. En effet, ce type de variétés, en plus de la productivité très élevée, présente d’autres avantages surtout en matière de résistances aux maladies.
A titre indicatif, au niveau de Belksiri, les agriculteurs motivés par les niveaux des rendements relativement élevés, ont aussitôt manifesté un intérêt croissant pour la culture à tel point que le programme prévu pour la campagne précédente a été largement dépassé. Ainsi, la superficie qui était de l’ordre de 2.632 ha en 2005-06 est passée à plus de 5.115 ha en 2014-15, et les rendements qui étaient de l’ordre de 45 t/ha en 2005-06 ont avoisiné 59t/ha en 2012-13 et ils oscillent depuis autour de 50t/ha.
Seulement, le grand défi pour les monogermes réside essentiellement dans la réussite de l’installation de la culture. Chaque graine donnera naissance à un plant. Par conséquent chaque plant perdu par manque de levée pour diverses raisons (mauvais travaux du sol, mauvaise préparation du lit de semences ou attaques parasitaires par les agents du sol) entrainera forcément une perte du peuplement, l’une des principales composantes du rendement.
Dans cet article, nous allons traiter des principaux ennemis compromettant l’installation de la culture. Le but est de sensibiliser nos agriculteurs et les inciter à bien protéger leurs plantules pour un bon démarrage de la campagne.
Les principaux ennemis responsables du faible peuplement
Les pertes de plantules entre la germination et la levée sont estimées par certains auteurs à environ 12-14%. D’autres ont rapporté qu’après ce stade, les pertes sont très variables allant de 2 à 31 %. Selon les conditions au champ, l’émergence des plantules peut varier entre 60 et 70% par rapport à la dose de semis. Ceci est dû généralement au stress engendré par certains facteurs tels que la basse température, l’excès d’humidité, les attaques parasitaires ou la structure dégradée du sol.
Effets des agents cryptogamiques
La betterave à sucre est une cible potentielle de plusieurs maladies et ravageurs qui l’affectent tout le long des stades de son développement. La sévérité des attaques et infections dépend de la sensibilité de la variété, du potentiel infectieux du sol, du degré d’agressivité de l’agent pathogène impliqué et du stade de la plante au moment de l’infection. La phase la plus critique et la plus sensible est quand les jeunes plantules viennent de terminer leur germination.
Quatre espèces de champignons sont identifiées et rapportées comme étant les plus importantes à craindre pour notre culture de betterave à sucre et sont communément connues sous le nom des agents de fonte de semis. Il s’agit de Rhizoctonia sp , Phoma betae, Pythium sp et Aphanomyces cochliodes, les dommages les plus importants étant causés par les deux premières. En effet, en cas de fortes attaques par ces agents, les dégâts occasionnés obligent généralement les agriculteurs à ressemer leurs parcelles.
Les Pythium, Aphanomyces et Rhizoctonia peuvent provoquer de lourdes pertes en pré-levée ou en post-levée. Les plantules qui survivent seront affaiblies et rabougries, ou plus vulnérables aux maladies plus tard en saison. Le Pytium et le Rhizoctone peuvent aussi attaquer la betterave à un stade plus avancé. En phase de maturité, ils sont généralement responsables de pourritures fréquemment observées lors de la récolte quand les fortes humidités suivies de températures élevées sévissent sur des plants de betterave affaiblis.
Le Pythium peut infecter les plantules dans une large fourchette de températures en présence d’humidité et peut se développer lorsque la température du sol atteint 5 °C. Quant à Aphanomyces, il préfère les sols humides et saturés, et des températures supérieures à 15 °C. Le Rhizoctonia prolifère par temps encore plus chaud et infecte les betteraves uniquement lorsque la température du sol dépasse 20 °C.
Si un sol est infecté par une forte population des champignons (potentiel infectieux élevé du sol), un traitement des semences avec un fongicide est non seulement justifié mais devient primordial et de première nécessité. Les sols du Gharb sont parmi les sols les plus infectés et les monogermes qui y sont utilisées, sont toujours traitées par un fongicide approprié. En effet, à titre d’information, Le Thiram (TMTD) ou Rovral (Iprodione) sont efficaces contre les espèces Phoma betae, alors que l’hymexazol est beaucoup plus efficace contre le Pythium et les Aphanomyces.
Effets des insectes du sol
Les jeunes plantules de betterave sont sujettes à une multitude d’insectes menaçant la structure, l’uniformité et la densité du peuplement. Leur population est très variée, extrêmement vorace et douée d’un pouvoir de nuisibilité particulièrement élevé.
Les espèces rencontrées sont très nombreuses, Atomaire, Blaniules (agents de mille pattes), Scutigerelle, Taupin, etc. Mais, nous allons nous limiter aux plus importantes, qui ont fait l’objet d’études et suivies dans la région du Gharb. Leurs effets ont été évalués et les traitements insecticides efficaces pour certaines d’entre elles, ont été mis au point et largement vulgarisés. Il s’agit du ver gris, limaces et escargots, cléones mendiant et fil de fer.
Les dommages des chenilles noctuelles (vers gris)
Les chenilles noctuelles sont véritablement polyphages, c’est-à-dire qu’elles se nourrissent d’un très grand nombre de plantes. Il est rare que l’une ou l’autre d’entre elles soit inféodée à une seule espèce végétale. L’espèce et la nature de son comportement ravageur ont permis de classer les noctuelles en deux groupes, celui des chenilles défoliatrices (photo 2) et celui des chenilles terricoles, ces dernières plus connues sous le nom de « vers gris ». L’action de toutes ces chenilles est essentiellement nocturne. Il faut savoir également que ces larves proviennent aussi bien des papillons sédentaires que des papillons migrateurs.
Les chenilles terricoles, comme leur nom l’indique, agissent au niveau du sol. Elles s’alimentent la nuit et se cachent le jour dans la terre. Elles rongent et sectionnent les racines au voisinage du collet. Ce sont les jeunes plantations qui sont particulièrement vulnérables. Ces « vers gris » attaquent la betterave, le poireau, la pomme de terre, la carotte, le persil, le fraisier et bien d’autres espèces.
Les mesures à caractère préventif sont importantes, car il est difficile de prévoir les attaques. Les ennemis naturels, les oiseaux, merles et corneilles entre autres, les taupes, les insectes auxiliaires comme les chrysopes, les punaises et certains hyménoptères jouent un rôle non négligeable dans la régulation de leur population. Les chauves-souris sont également dévoreuses de ces papillons de nuit. L’élimination des mauvaises herbes, les binages réguliers en surface, le paillage et l’arrosage du sol seront défavorables aux pontes de certaines noctuelles.
Dans le cas ou un traitement contre les chenilles s’avère nécessaire, par forte pullulation par exemple, il est important d’agir sur les larves (Photo 3) encore petites, plus sensibles aux produits phytosanitaires que les plus âgées. Les traitements sont à effectuer à la tombée du jour, en raison de l’activité nocturne des chenilles. En cas de forte infestation, pulvériser un produit insecticide approprié agrée par l’ONSSA. Les traitements à base de : Chlorpyriphos-ethyl dose préconisée 15-20 kg/ha sont le plus souvent recommandés
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Au niveau de la plante, les attaques du vers gris sont plus prononcées au début de la végétation. Les dégâts larvaires au niveau des collets peuvent détruire complètement les plantules. La régularité du peuplement est de ce fait, sévèrement atteinte.
Cléone mendiant
Les adultes (photo 4) détruisent les jeunes plants de la betterave en dévorant les jeunes feuilles nouvellement formées et obligeant les agriculteurs à ressemer leurs champs en cas de forte infestation. Au stade racinaire, les larves creusent des galeries profondes entraînant un dessèchement des racines et par conséquent la mort de la plante entière. Lors des fortes attaques, une plante peut contenir jusqu’à 10 larves (photo 5).
Pendant les années 90, le Cléone mendiant, était répandu dans toutes les régions du Gharb et du Loukkos. A l’époque, plus de 90% des parcelles étaient plus ou moins infestées et certaines superficies ont été totalement détruites causant un manque à gagner aussi bien pour les agriculteurs que pour les sucreries. En 1999, pour protéger la culture de betterave contre le Cléone mendiant dans le Gharb, un premier traitement dirigé contre les adultes en décembre et janvier, a été fortement recommandé pour protéger les jeunes plants de la betterave. Le ravageur a fait l’objet depuis à de vastes campagnes de traitements chimiques massifs ayant conduit à une réduction sévère de ses populations. Cependant, ces traitements ont conduit à l’émergence d’un autre ravageur de feuillage aussi vorace et destructeur, la Casside.
Taupin
Taupins larves Fil de fer
Le ver fil-de-fer (photo 6) se nourrit autant des semences que des plantules. On le trouve plutôt dans les sols argileux où le travail du sol est réduit, mais aussi dans les champs où l’on a enfoui des pailles de céréales, des plantes fourragères ou de grandes surfaces d’herbes. Le ver fil-de-fer vient à maturité en deux à cinq ans, aussi peut-on s’attendre à le trouver dans la culture actuelle s’il s’était manifesté dans la culture précédente. Étant donné que les moyens de lutte chimique sont limités et que les traitements doivent être effectués avant les semis on doit procéder au dépistage dans les champs vulnérables avant les semis pour juger s’il faut vraiment intervenir. Le dépistage peut s’effectuer au moyen de pièges-appâts. Enfouir des pommes de terre fraîchement coupées dans des sacs en filet de plastique, à une profondeur de 25 cm, en créant une butte pour éviter la formation de flaques d’eau. Quelques jours avant les semis, vérifier s’il y a des larves du ver fil-de-fer avant de décider si des mesures de lutte sont nécessaires.
Limaces et Escargots
Après les premières pluies, les limaces (photo 7) quittent leurs abris et envahissent la culture de la betterave à la tombée de la nuit. Elles dévorent le pétiole de la plantule qui finit toujours par dépérir. Ces attaques peuvent avoir lieu même avant la levée, sans que l’agriculteur s’en rende compte. Les attaques des limaces sont très fréquentes par temps humide. Elles sont capables de réduire sérieusement la levée imposant ainsi de renouveler le semis. La présence des limaces dans le champ est identifiée par la présence d’un épais mucus blanc sur le sol. Au Loukkos, par exemple, 3.000 ha ont été détruits en 1986 à cause des attaques de limaces. La lutte contre ces mollusques se faisait dans le temps à l’aide des appâts empoisonnés. L’application actuellement du muserol, comme traitement préventif, a donné des résultats très satisfaisants. Cependant, 2 à 3 applications sur les bordures des parcelles sont nécessaires si le début de la campagne est assez humide. Des produits à base de matière active metaldyede et mercaptodimithu peuvent aussi être recommandés
Les escargots sont observés sur la betterave dans les parcelles visitées avec une incidence moyenne. Ils sont observés surtout dans des parcelles entourées par les mauvaises herbes qui constituent des abris pour ces ravageurs. Les dégâts se manifestent par des perforations des feuilles (photo 8 ) pouvant en cas de fortes attaques, causer des pertes dues à la destruction de la surface foliaire. Les agriculteurs doivent détruire les mauvaises herbes à proximité des parcelles et utiliser un pesticide sur le pourtour des champs.
Conclusion
Avec l’introduction de la semence monogerme, la réussite d’un bon peuplement (photo 9) reste le plus grand défi auquel est confronté notre agriculteur. La graine est sujette, une fois dans le sol, à des attaques multiples de diverses origines. D’une part, les agents de faiblesse causant la fonte de semis et d’autre part une population aussi vorace que variée d’insectes enfouis dans le sol. Il convient donc de bien protéger la semence et la jeune plantule car une fois la plantule protégée, son démarrage est garanti et donc le peuplement est sauvé. L’enrobage des semences par les fongicides permet une certaine protection contre les attaques cryptogamiques. Mais pour les insectes, cet enrobage peut être insuffisant pour garantir une protection complète des semences et plantules. L’application d’un insecticide approprié s’avère donc nécessaire au moment du semis.
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